Ice Gaijin. L’étranger glacé ? La première fois que je l’ai rencontré, il semblait être la parfaite incarnation de son pseudonyme. Glacé, et étranger. Cheveux blonds coupé ras, yeux horizon gelé, aussi froid que l’archipel de Sakhaline, bras chromé acier bleui où se dessinait la suite du tatouage qui recouvrait le reste de son corps. Je devinais aisément les contours du grand dragon et d’Hachiman qui se découpaient sous la fine soie de sa chemise d’été blanc pur. Il respirait lentement, tandis que son vêtement se collait à ses pectoraux. Ice par la même, par sa maîtrise constante de son souffle, la présence d’un poumon artificiel magnifié par la connaissance des arts martiaux. J’appris plus tard, outre découvrir le reste de ses tatouages, qu’il était très peu cybernétisé contrairement à certains de ses camarades du Milieu. Mais aussi qu’il était aussi froid et glacé que son nom. Un serpent. Sa peau au toucher, d’ailleurs, était celle d’un reptile. Mue blanche recouverte d’encre noire verdie, aux détours finement tracés et colorés d’ombres rouges, bleus ou or blanc. Froide, glacée sous la caresse, malgré la chaleur d’une étreinte. Mais je m’égare. Ce premier jour, je ne fixais qu’Ice. Grand et bien bâti, comme un iceberg, il faisait preuve de la politesse d’un japonais, tout en ayant l’allure d’un étranger. D’ailleurs, il ne me salua pas d’une courbette, non, il se contenta de me tendre sa main artificielle. Froide, impersonnelle, glaciale, bien sûr. Puis il m’invita d’un geste, ironique peut-être, à m’asseoir. Je jetais un coup d’œil à son « bureau ». Tout était aussi propre et net, blanc oserais-je dire, qu’un blanc manteau immaculé au petit matin, alors que l’hiver avait pleuré toute la nuit durant ses larmes de glace. Une climatisation ronronnait doucement, rafraîchissant ma peau échaudée par ma marche dans le métro de Tokyo. Un léger frisson me pris tandis que ma peau se constellait de chair de poule. Canapés en cuir beige, tirant presque sur le blanc neige. Mur crème glacé, pas de fenêtres, sauf une tri-déo agressive qui sortait en relief sur tout un pan de mur. L’océan où voguait une fragile barque, coque de noix perdue sur des vagues qui roulaient incessamment, alors qu’un blizzard englobait la scène où se posait l’auguste regard triste et solitaire de la cime du Fuji-San au clair de lune. Il avait baissé le son mais rien qu’à le voir j’entendais la fureur des sifflements du vent, les rafales de neige et la violence du froid qui prenait les pauvres pêcheurs. Hokusai trois point zéro. Rien de personnel dans ce lieu, si ce n’était la petite statue d’Hachiman. Un bâtonnet d’encens afin de parfumer l’air était posé devant, à côté d’une glace au thé. Ice Gaijin n’avait qu’un seul vice, si je puis dire, connu dans le milieu. Son amour pour les isu kurimu no o-cha. La glace au thé vert. A côté du dieu, un daisho, les deux sabres d’un samurai. En parfait état d’usage malgré la loi qui prohibait le port de ceci. Sa morsure glacée était connue de tous. Un coup, un mort. Ice Gaijin était un maître du Yagyu Ryu. Les yakuzas comme les flics le savaient bien. Mais Ice était malin, il faisait passer son katana pour une œuvre d’art ancienne. De fait, tout dans ce bureau respirait le classicisme d’un Japon qui n’a jamais existé sauf dans les yeux d’un étranger ? Peut-être. Il me servit un verre après m’avoir demandé ce que je voulais. Il sortit deux verres et des carafons d’une desserte, comme s’il avait méticuleusement tout préparé. Il servit deux whisky on the rock. Je saisi mon verre d’une main. Humide, froid sous mes doigts. Lui jouait avec la glace de son Nikka vingt ans d’âge, les petits cailloux blancs opalescents craquaient lorsqu’ils choquaient la paroi de leur récipient. Je jetais un coup d’œil à mon verre. Le pur malt brun roux et es deux glaçons qui flottaient. Comme deux icebergs perdus dans un océan d’emmerdes. Le symbole de ma vie. Mon naufrage personnel. Jusqu’à ce jour où j’avais besoin d’aller voir un yakuza. Mais pas n’importe quel mafieux. Non. Un étranger. Un gaijin. Ice Gaijin. L’étranger glacial qui me regardait, ironique, retarder le moment de lui demander ce pour quoi j’étais venue. Je le portais à mes lèvres, par politesse. Froid sur mes doigts. Froid sur mes lèvres. Froid sur ma langue, puis la flamme ardente, comme une nuit glaciale, ou une rafale de vent d’hiver, qui enfile la gorge et descend dans le ventre. Flamme et glace. C’était ainsi qu’on aurait pu décrire Ice Gaijin. Du moins, c’est la première impression qu’il me laissa, alors que je me lançais enfin…
Dernière édition par Asdel le Lun 5 Mar 2018 - 10:55, édité 1 fois