Bon j'ai écrit ça dans l'inspi d'une (im)probable campagne de JDR. Je pense que ça ira pas plus loin mais au moins ça fait écrire :
Le vieil homme émergea avec difficulté des entrailles du donjon. Appuyé sur une canne à pommeau d’argent, il boitait sur le sol de neige fondu le long d’un parapet aux gargouilles de pierre qui toisaient la Ville de leurs yeux d’or. Un garde en habit de bure gris terne, comme lui, s’inclina avec déférence avant de quitter le chemin de frère Abilard. Tout le monde à Notre-Dame craignait l’ermite nocturne qui se glissait silencieusement derrière les frères, sans rien dire, mais ses yeux fixés sur la moindre faute en devenir. Tous craignaient les pénitences qu’il imposait. Et encore plus la facilité avec laquelle il semblait tout savoir sur tout ce qui se passait, de jour comme de nuit, des plus basses entrailles de la cathédrale jusqu’au bourdon le plus en vue du Créateur. Bien sûr, frère Abilard n’avait pas besoin de toutes ces simagrées, mais il devait passer pour plus faible qu’il n’était. C’était à la fois sa couverture, et son amusement. Personne ne prêtait attention aux forces réelles d’un semi-infirme réputé sénile, qui conversait seul dans des langues antiques et qui n’avait pour unique passion que ses rencontres nocturnes avec les étoiles et l’astre lunaire. Il sourit, révélant sous le capuchon de sa bure la méchanceté de ses petits yeux torves, noirs comme un cul de basse-fosse. Les pauvres mortels ne savaient pas ce qu’il contemplait vraiment, les Abysse, l’Ombre Primordiale qui avait précédé, dit-on, Sa Lumière. Il ricana, avant de tousser. Encore une esbroufe pour se cacher d’éventuels espions. Car ce soir, il avait à faire. L’alignement de cette nuit portait une sombre magie. Quelque chose de maléfique approchait depuis l’Orient. Porteur d’un mal Ancien, terrible. Une menace pour la Cour Sombre de Paris. Oui, l’alignement était parfait. L’Heure du Changement approchait. Il arriva sur une terrasse, nue, battue par la neige et les vents glacés. Il releva son capuchon, révélant une peau tavelée et grise comme si la mort était prêt de le prendre. Ses cheveux blancs, rares et longs, volaient en mèches longues et éparses. Des croûtes purulents marquaient les nombreux trous de sa chevelure, tandis que son nez brisé suppuraient un pus sanglant. Lépreux, tel était le mal qui l’avait rongé, et ramené dans ce monde crasseux. C’était dans la souffrance qu’il avait découvert ce qu’il était vraiment, et les éléments de sa délectable et sombre puissance. Il se concentra, au-dessus d’un bol d’un liquide rouge, mélange d’eau bénite, de vin consacré, d’hostie pilée et de sang de bambin. Puisant dans son pouvoir il chercha à voir les lignes du temps. Il filait entre ses doigts les ramures qu’il étudiait depuis des siècles, et qui depuis trois mois lunaires venaient toutes se cristalliser dans une boule de noire matière. Hésitation. Pause dans le Temps. Négation de l’éternité de la Création. Il ne voyait plus l’avenir, seulement cette conflagration imminente, cette boule de pus et de poison qui grossissait, prête à imploser comme une masse de poix noire ou de nephtar sur les navires de la lointaine Byzance. Le vent souffla. Le Destin était en marche. Frère Abilard déclama, dans une langue oubliée des hommes depuis longtemps et qui, dans un temps pas si lointain, pourrait le conduire au bûcher :
– Du Levant le Maître et la Bête ensemble viendront.
La Belle d’Argent et sa frérèche se lèveront.
Ensembles, crocs et sangs liés, l’Ennemi battront.
Pour la gloire de Dieu, et la survie des Cours de Sang,
Mourront ?
Un souffle de vent balaya son corps vieilli d’un mélange de grésil et d’eau glacée qui ne sembla pas le faire souffrir. Son souffle se faisait sifflant, sans qu’il n’essaye ici de faire semblant. Les prémonitions des Abysses étaient épuisant, même pour un corps et une âme habitués à celle-ci. Abilard alla se poser contre une gargouille. Celle-ci, un instant, sembla tourner vers le vieux moine ses yeux d’or, ronronnante sous la caresse de son maître. Il se reprit très vite. D’un des surplis de sa robe de bure, il sortit un gros rat noir. La bête, méchante et fourbe, les yeux injectés de sang, essaya de mordre la chair de frère Abilard. Celui-ci sourit quand le rat couina, effrayé de ce qu’il venait de croquer. La bestiole, grosse comme un petit chat, voyait bien plus que les humains qui vivaient dans l’ombre de Notre-Dame, et savait que la partie, pour elle, était perdue. Abilard caressait la tête du rat, qui semblait s’apaiser.
– Et oui mon petit, les apparences sont trompeuses. Ma chair est morte, et je vais me repaître de ta vie pour donner le change aux imbéciles mortels que je fais encore partie de leur congrégation. Un peu de sang, rien qu’une pinte, et on peut tromper son monde. Mais pas toi mon petit ami. Dommage, tu semblais bien plus intelligent que ces abrutis. Adieu, requiescat in pace.
En disant cela, Abilard avait monté à son visage le rat, le regardant droit dans les yeux ; le noir et le rouge se miraient l’un dans l’autre. La bête poussa un couinement. Abilard ouvrit grand sa gueule, révélant des crocs blanc ivoire. D’un coup net, il brisa la nuque de la bête, et de son sang se reput. Regardant vers le Levant, il éclata d’un rire fou, ou démoniaque, ou sacré selon qui l’entendit. Les gardes de la cathédrales resserrèrent leurs capes dans la froide de l’Hiver. Abilard, lui, riait toujours. Avide de savoir ce qui allait advenir. La cour de France pouvait trembler. Les Seigneur de la non-vie s’apprêtait à vivre de longues nuits.