Je me suis tâtée pour un inédit pour ce défi, mais non, je préfère davantage développer ce que j'ai en tête, j'ai donc puisé dans mon plus gros chantier, qui fut aussi le premier. C'est justement le plaisir de mêler un univers futuriste et un monde fantasy qui a été le moteur premier de "Mirnwirl", dont certains d'entre vous ont pu lire les premières bases sur à l'endroit qui a fait les beaux jours de nos échanges par le passé.
Bien que ce mélange de genres fasse partie de mes dadas, je n'avais pas voté pour ce thème là, choisir la facilité pour un challenge, ce n'est plus du challenge.
Ouaip, poster un texte déjà écrit pour un défi, ce n'est pas non plus le top du challenge, c'est vrai. J'ai bien cherché autre chose en dehors de Mlirnwirl et de l'idée dont je parle plus haut, mais rien n'est venu - à mon avis à cause de cet œuf qui demande à éclore. Dans ces cas là, je n'aime pas forcer mon imaginaire, ça ne donne jamais rien de bon.
Et puis bon, ça me permet de me rappeler mon objectif premier, il y avait longtemps que je n'avais pas rouvert le dossier de ce roman, et c'est avec grand plaisir que j'ai retrouvé mes personnages.
Donc voilà, ce sera du réchauffé, mais c'est du chaud bouillant... il me semble avoir vu quelqu'un récemment sur le fofo qui réclamait du combat made in Foenidis, je lui offre donc ce face à face homme contre animal, technologie contre bon vieux dragon.
Ayant stoppé ma réécriture en profondeur avant ce passage, c'est dans son jus de l'époque, mais comme c'est de l'action, je ne pense pas changer grand chose à ce genre de scène.
......................................
Foenidis pour roman3 a écrit:
À peine revenue des limbes d'un rêve baroque, Oroliz eut un sursaut de panique.
Seule… Elle était seule !
Elle s'était pourtant glissée avec précaution tout contre son frère une fois certaine de son sommeil. Bien qu'elle connaisse ses réticences à une telle promiscuité, elle n'avait pu résister au plaisir de s'endormir collée à sa chaleur, bercée par son souffle profond.
Le refuge troglodyte était bel et bien vide. Pire encore, la tenue et le casque du Lovic n'étaient plus où elle les avait posées.
La douceur moelleuse des pelisses ne pesa pas lourd, veste comme bottes de cuir furent prestement enfilées, le boyau de sortie vite passé.
Soulagement.
Il était là ! Équipé de pied en cap, debout dos tourné, bras croisés et regard penché sur l'antre des hakaroks, ses mèches dressées bousculées par les tourbillons du conflit entre froidure matinale et exhalaisons volcaniques.
— Tu as dû te faire mal pour sortir, souffla-t-elle, histoire de briser la glace avant de replonger dans le sein de la montagne.
À son retour, le roc martial caressé par les ombres fantasmagoriques des lueurs volcaniques ne lui accorda pas plus d'attention.
Toujours aucune réaction à l'offrande de la boisson médicinale.
— Ne me dis pas que tu boudes toujours ! Tiens, bois… Je suis désolée, mais l'étroitesse et les virages de ce tunnel sont le seul moyen de tenir le refuge à l'abri du feu des hakaroks.
Le son inattendu de la voix sourde du jeune homme la surprit :
— Pourquoi ne les contourne-t-on pas ?
Tournée vers les rougeoiements offerts par l'étrange val, elle répondit dans un souffle :
— On ne peut pas, tout simplement.
Le regard flamboyant soudain braqué sur elle l'invita à plus de précisions.
— La retraite de Papy Dagda est au centre de la Montagne de Feu. Les hakaroks nichent un peu partout autour, ils ont besoin de chaleur pour leurs œufs et leurs jeunes. Là, devant nous, se trouve le seul passage possible pour arriver à lui vivants.
Sans un mot, le guerrier s'empara de la gourde pour en ingurgiter une longue tirade. Ceci fait, il rendit le récipient, heurté sans ménagement contre la poitrine de sa propriétaire.
— Hey, je ne suis pas à ton service, faut pas charrier ! protesta-t-elle en étouffant toutefois le niveau de son indignation.
— Je suis une unité drakhôle, mon devoir, c'est le combat. Assurer le bon fonctionnement de notre monde, et donc mon bien-être, est celui de tous les autres.
— Non mais, quel sale… commença-t-elle par s'exclamer.
Puis elle se reprit, prenant sur elle pour contenir son tempérament dans un murmure forcé :
— T'as de la chance que je ne puisse pas crier ici… On n'est pas chez ton Lovic, je te signale. Tu es sur MON territoire, et ici, personne ne sert personne ! Chacun fait ce qu'il peut et les plus forts aident les plus faibles.
— C'est bien ce que je dis : chacun reçoit son affectation selon ses capacités, et les unités non combattantes pourvoient aux besoins de ceux qui se battent. répondit-il, mine fermée.
— Rooh ! Il m'énerve, il m'énerve, il m'é-ner-veu ! marmonna l'Aroline en aparté, suffisamment fort toutefois pour être certaine qu'il entende.
Imperturbable, le jeune capitaine approcha du bord de la corniche.
— Montre-moi le chemin.
— Pas si près ! On ne doit prendre aucun risque si on veut passer ce matin…
— Justement ! Tu me montres et je te porte jusque là-bas…
Retourné d'un bloc, il lui fit face de toute sa hauteur, panache frémissant.
— Et ne me dis pas que je ne peux pas !
Soupir et négation de tête accueillirent la tentative d'intimidation.
— Tu ne comprends rien. On ne PEUT PAS passer comme ça, en pleine forme ou non, c'est pareil.
— Explique ! ordonna l'officier, le regard braqué sur le gouffre.
Oroliz s'exécuta tout en rebouchant la flasque, ensuite attachée au sac amené avec elle.
— Les hakaroks sont fils de Narwarm, mais le ciel est leur domaine. Ils sentent l'air et repèrent le vol d'un papillon à près de cinq cents pas.
Revenu vers lui sa besace dans le dos, elle poursuivit :
— Alors tu vois, on n'a aucune chance de leur passer au-dessus sans se faire repérer aussitôt.
À la lisière du précipice, il pensa tout haut :
— Ils dorment, je devrais pouvoir tuer les deux plus gros avant qu'ils aient le temps de comprendre ce qui leur arrive.
Le pompon capillaire de la jeune Aroline se hérissa en un mouvement réflexe.
— Non ! Tu n'as pas le droit !
Les fils de Narwarm sont sacrés, continua-t-elle. On ne doit pas s'attaquer à eux… c'est parce qu'on les respecte et qu'on leur fait régulièrement des offrandes qu'ils ne dévastent pas l'Arolin, c'est un pacte sacré que personne ne doit rompre !
Brusquement redressé, le Lovic s'exclama :
— Alors, qu'ils nous laissent passer !
Oroliz agrippa son vêtement, paniquée.
— Chuut ! Pas si fort ! C'est leur nid, ils protègent leur jeune. C'est normal qu'ils soient agressifs, tu comprends ?
Un simple "Non" balaya tout espoir de compréhension.
L'adolescente resta un instant statufiée, figée par l'effroi le plus total. Sans attendre, Fulbar venait de s'élancer dans le vide !
Après l'horrible sensation de n'avoir pas plus d'existence qu'une poussière, Oroliz se jeta à plat ventre sur le rebord de la corniche. De là, elle put voir le Lovic fondre sur le plus gros des hakaroks.
Le guerrier venait à peine de tendre sa main gauche devant lui que trois effrayantes têtes se levaient déjà pour se tourner d'un coup dans sa direction.
Élan stoppé, son hurlement de rage résonna au moment même où le flot d'énergie de sa main filait droit sur sa cible.
Bien qu'à peine éveillé, celle-ci fit preuve d'une vivacité stupéfiante !
Le Drakhôl eut à peine le temps de couper son attaque pour générer un bouclier protecteur entre lui et l'impressionnant jet de flammes qui l'engloutit.
La puissance de la riposte du dragon fut telle que malgré la distance, Oroliz se trouva contrainte d'abriter son visage. Des larmes chargèrent ses paupières brûlantes… elle n'aura pas été capable de préserver la vie du dernier membre de sa famille !
À moins que … ?
Mais oui ! Il était toujours là !
Revenu d'un enfer propre à carboniser un roc, le Lovic montait à présent en flèche dans la nuit colorée par le tempérament de la montagne.
D'incroyables claquements signèrent l'envol des deux animaux adultes. La jeune Aroline savait qu'ils ne lâcheraient plus avant d'avoir tué l'impudent.
Vite ! Elle devait réfléchir vite !
Une solution, une diversion, quelque chose !
À peine le temps d'une respiration plus tard, elle déversait le contenu de son sac.
Flasques, torches de lichen, nourriture empaquetée de feuilles, étuis de bois et de cuirs, petits ustensiles divers se répandirent dans des soubresauts de panique. Deux de ces objets se retrouvèrent prestement calés dans sa ceinture avant qu'elle ne sonde le ciel piqueté d'étoiles. Tiendrait-il assez longtemps ?
En dépit de l'air glacial, Fulbar ruisselait. Ces monstres semblaient aussi redoutables qu'il l'avait pressenti. Rien à voir avec les pathétiques guignols de synthèse du début de son cycle de préparation au combat. Comment pareille erreur était-elle possible ? Il était incontestable que ces créatures étaient imaginaires, héritages de lointaines légendes utilisées par tradition pour rendre hommage au colonel Bluedragon, lointain fondateur de leur corps, inventeur, dit-on, de ces figures chimériques. Or, l'ombre qui venait de le dépasser pour fondre sur lui à la vitesse d'un missile n'avait rien d'une chimère !
Rapides, ces saletés !
Saloperie de blessure.
Et malines de surcroît…
Tour à tour, elles dépassent leur proie, la frôlent d'un coup d'aile ou de flammes. Gibier il est, et bientôt elles sauront tout de ses limites.
Mais personne ne se joue d'un capitaine drakhôl ! Ces bestioles allaient comprendre que le nom de sa prestigieuse unité n'avait rien d'une galéjade ! Sur sa pupille droite, les petits signes rouges se succédaient avec précipitation. Aussi concentré qu'attentif, il se tint prêt. Se contracter avant l'impact aiguillonnait la douleur surexcitée par l'action. Une fraction de seconde plus tard, il esquivait de peu la mort portée par une ignoble haleine.
Entraîné par son élan et son poids, l'énorme dragon continua sa course vers le bas. Au lieu de guetter la charge prévisible de la seconde bête, Fulbar plongea à la suite de celui qui venait de le manquer.
Comme attendu, l'animal se trouva freiné au moment du déploiement de ses gigantesques ailes pour rétablir son vol. Ce semi-coup d'arrêt permit à l'homme en chute libre de s'agripper à la ligne de crête épineuse du long col de la créature.
La chaleur dégagée par les écailles surprit le Lovic malgré le matériau isolant de ses gants. La légende vivante entre les genoux, il se cramponna pour ne pas être éjecté par les à-coups furieux de la bête bien décidée à rester indomptée. Pas facile de tenir avec un bras réticent ! Chaque geste, à-coup, seconde, se faisait poignard incandescent de la base de son cou au creux de son rein droit. Effort, souffrance, détermination lui coûtaient, mais il ne lâcherait pas !
Parvenu à la tête, il hurla sous l'empire insoutenable de la douleur provoquée par la projection de sa main droite. Son autre main nécessaire pour tenir, il n'avait pas eu d'autre choix pour soulever l'écaille épaisse au sommet du crâne et se ménager ainsi une prise plus sûre.
Son cri parut bien dérisoire face à l'effroyable mugissement du dragon outragé.
La bête secouait le chef avec fureur et son passager dut se cramponner à deux mains pour ne pas chuter.
La séance de rodéo aérienne cessa subitement. Le cavalier improvisé n'eut qu'une fraction de seconde pour se rabattre du côté de l'œil de son improbable monture, un œil énorme, terrifiant, plus flamboyant qu'un trait mortel. L'autre créature venait de fondre sur son congénère pour le débarrasser de cet intrus décidément fort tenace.
Les minuscules lumières au centre du violet de l'iris de Fulbar clignotèrent avec intensité pendant sa remontée énergique et son installation à califourchon au sommet du crâne écailleux. Il devait se hâter avant la prochaine charge. Concentré, déterminé, presque méconnaissable, il plaqua sa main gauche sur le plat de la monstrueuse tête. Après un rapide coup d'œil à ses instruments, il s'autorisa à fermer un instant les paupières. Il avait besoin de puiser au plus profond de son être pour surpasser la douleur et accumuler son énergie là où il en avait besoin.
Une lumière éclatante jaillit soudain de sa paume. Soutenu par un cri fauve, le guerrier libéra ce qu'il avait de plus destructeur en lui. Son bras tout entier disparut dans l'étincelante gerbe de lumière de son attaque et un flash aveugla les versants éveillés par le craquement sec de la foudre.
Le monstre fantastique sembla projeté vers le bas par la massue d'un invisible géant.
Sa main libérée et son vol repris, le Lovic put constater sur le crâne du dragon en perdition, la trace profonde d'un cercle carbonisé et fumant. L'épaisse cuirasse d'écailles n'avait pas résisté à la projection énergétique du jeune capitaine.
Vacarme, illumination… Oroliz avait sursauté.
Alors que l'aube commençait à bleuir les sommets, découpée sur l'écrin pâlissant d'une myriade d'étoiles, elle aperçut une ombre massive chuter dans les mouvements désordonnés d'une voilure formidable claquant sans maître dans le vent. Cette vision fit porter à la jeune Aroline ses mains au visage dans un hoquet effrayé. Une pierre blanche glissa de ses doigts. Tiraillée entre soulagement et horreur, elle resta un instant pétrifiée parmi la chaleur des fumerolles colorées de cette glaciale fin de nuit.
Un vapeur plus légère se dissolvait en courtes volutes au-dessus des épaules de l'officier drakhôl. Son souffle était court et sa silhouette vrillée du côté de l'épaule couverte par sa main gauche. Il s'arracha à la contemplation de la chute de ce qu'il avait longtemps pris pour une illusion et scruta la pénombre en faisant l'effort de redresser son cimier en partie affaissé. Mais tandis que l'aube halait sa clarté diaphane… aucune trace de l'autre grand voilier. Fulbar commença à tourner sur lui-même, attentif aux signes rouges à l'ombre de son casque. Au moment où sur sa pupille s'afficha son viseur, il stoppa tout mouvement. Malgré sa certitude, il lui fallut quelques secondes pour arriver à discerner ce que ses systèmes venaient de détecter dans le contre-jour.
Là, plaqué contre une vertigineuse falaise, curieusement suspendu tête en bas, le monstre le dardait de prunelles illuminées de férocité. La fumée expulsée par ses naseaux à chaque souffle traduisait un rageux bouillonnement. Un inquiétant grondement de basse, vibrant, caverneux, digne d'outre-tombe, irradia de la poitrine du grand dragon quand son regard rencontra celui de l'être qui venait d'abattre sa femelle.
Hormis les bouffées teintées de feu enfantées par la montagne, tout paraissait figé depuis le drame.
Chacun des deux combattants s'évertuait à puiser dans ses ultimes réserves, s'appliquait à concentrer au mieux sa fureur, tandis que dans les yeux de chacun, semblait luire la mort de l'autre.
Au même moment, dans la poussière soulevée par la chute de la bête vaincue et alors que les fumerolles, un instant soufflées, renaissaient, imperturbables, Oroliz rampait sur un sol brûlant.
Handicapé par des ailes trop longues dont il ne savait encore que faire, dandelinant sur ses courtes pattes, le jeune, sorti du nid creusé dans la terre volcanique, saluait le retour de sa mère d'étranges sons. Ses cris se firent plaintifs lorsque, collé à plusieurs reprises à celle d'ordinaire si attentive à ses besoins, il n'en obtint aucune réaction.
La jeune Aroline avait d'abord pensé que l'approcher ainsi éveillé serait de nature à lui compliquer la tâche, mais au final, ça pourrait plutôt constituer un avantage ! Face à la stature de ses redoutables parents, le jeune hakarok, seulement âgé de quelques jours et à peine plus haut qu'un enfant de deux ans, paraissait insignifiant. Même si la pousse de la première année était la plus spectaculaire, il lui faudrait pas moins de sept saisons claires pour achever sa laborieuse croissance et atteindre la maturation sexuelle. Les quantités de nourriture nécessaires au développement d'une pareille nature était phénoménale. De plus, les juvéniles étaient très fragiles. Un écart de température d'à peine quelques degrés les premiers mois, deux jours sans ration de viande, les prédateurs tapis dans l'ombre quand ce n'étaient pas de mystérieuses épidémies, entretenaient un funeste taux de mortalité. Il fallait ajouter à ça le danger constitué par les grands mâles après leur envol à partir de la deuxième année. Survivre suffisamment longtemps pour former un couple tenait de l'exploit. Un sur mille prétendait la rumeur.
Mais cela n'émouvait pas la jeune fille plus que ça. Arunok, leur cousin des cieux, savait ce qu'il avait à faire. Seuls les plus forts devaient survivre pour la pérennité de l'espèce. Et puis, trop nombreux, de tels animaux auraient vite épuisé toutes ressources.
C'était comme ça. La vie, la mort, le rapport entre prédateurs et proies, constituait le fragile équilibre d'un tout dont chacun dépendait. C'est le premier enseignement des Arolins au moment d'aborder l'art de la chasse.
Tout à sa progression, Oroliz venait enfin d'atteindre son but et suffoqua assez vite sous l'effet des chaleurs cumulées du sol bouillant et de la chape de peau de l'aile gigantesque sous laquelle elle venait de se glisser. Alors qu'elle n'était pas de nature à transpirer d'ordinaire, de désagréables ruisseaux dévalaient son corps. Le sel généré par son propre organisme enflammait les multiples éraflures écopées de sa descente précipitée. Il faut dire qu'elle avait bien failli se rompre le cou pour dévaler une voie empruntée d'ordinaire avec moult précautions. "Dépêche-toi, Oroliz ! Tu ne tiendra plus longtemps, et le temps presse de toute façon !" Le duel entre le mâle et Fulbar devait faire rage. Elle n'avait aucune envie de voir mourir ni son frère ni un autre dragon sacré !
Enfin au point voulu, elle souleva avec peine la bordure musculeuse de l'aile et inspira goulûment l'air relativement frais en comparaison de celui emprisonnée sous la voilure de la dragonne. Elle s'assit ensuite de son mieux sous la couverture souple pour vider son sac à dos de la poussière laissée par les pierres antécédemment transportées. Le petit paquet sorti de sa ceinture en main, elle entreprit d'attaquer à coups de dents fébriles le lien végétal de l'astucieux emballage.
La lumière sous l'abri improvisé avait pris une teinte bleue qui ne faiblissait plus. Son cœur de sœur battait l'affolement. Les offensives du dragon s'intensifiaient. Les feuilles protectrices furent écartées avec précipitation de leur contenu.
La force du jet incandescent de la créature de légende était telle que son petit, pourtant habitué aux effets de flammes de ses parents, en restait lui-même captivé.
Sous une bulle d'énergie protectrice, le Drakhôl hurlait en tentant de soustraire son visage à la fournaise. Sa défense la plus efficace ne parvenait pas à totalement le protéger des conséquences de la prodigieuse attaque de la bête en furie. Cet animal pouvait-il donc cracher indéfiniment un brasier pareil sans reprendre son souffle ?!
Fulbar ne disposait plus que d'une option pour ne pas finir rôti. Il n'avait jamais été contraint de tenter pareille manœuvre, mais c'était ça ou la mort. L'effort que lui demandait le maintien de sa bulle de survie le mettait déjà à la torture, mais il allait bien falloir qu'il trouve la force !
S'il avait su prier, sans doute l'aurait-il fait juste avant de couper la base de sa sphère énergétique. Ménager si petite trouée réclamait déjà une maîtrise et une concentration folles ! La maintenir tout à l'effort de se propulser simultanément tenait du délire théorique. Toutefois, il le risqua !
Sitôt jailli du geyser incandescent, il laissa mourir le reste de son écran mental pour monter en flèche. La gifle de l'air glacial du petit matin lui fit l'effet d'un véritable délice.
Il avait réussi ! Malgré l'épuisement, la fièvre, la souffrance… il venait de réussir à combiner déplacement et bouclier presque total !
Sous la silhouette humaine en lévitation loin au-dessus de lui, l'énorme animal battait l'air de son impressionnante envergure. Se maintenir en vol pour ainsi dire stationnaire lui demandait aussi maîtrise et détermination. L'air sifflait sous les volées de sa longue queue, signe d'une frustration profonde. Le monstre considérait le petit être qui semblait le narguer. Tous deux reprenaient leur souffle et il aurait été vain de savoir lequel avait été plus éprouvé par la fantastique démonstration de puissance du dragon.
Nul n'aurait dû survivre à pareille fournaise, et pourtant, ce drôle d'humain avec le pouvoir de voler respirait toujours.
C'est préoccupé par cette incroyable énigme que le grand mâle rompit sa position pour monter décrire de grands cercles autour du fautif. Il était si petit ! d'apparence tellement inoffensive ! Pas de gueule, de griffes ni de cornes… pas même une arme ainsi que parfois ses semblables… rien ! Pour couronner le tout, les sens de prédateur de la bête lui soufflaient que l'ennemi était blessé, affaibli… et pourtant…
Au ras du sol, les rôles étaient inversés. La cible était d'ailes et de griffes.
Désespérée, Oroliz allongeait le bras avec une telle force qu'elle eut l'impression de bientôt le déboîter. Ses muscles étaient en feu et elle suffoquait plus que jamais sous la bâche de chair. Au bout de ses doigts tremblants, un morceau de viande séchée frétillait.
Ses pitoyables tentatives pour imiter le son rauque du dragon invitant ses petits à la curée se perdaient dans l'incessant gargouillis des bouillonnements et autres chuintements volcaniques. Lasse de s'égosiller dans une étuve insoutenable, aussi épuisée que frustrée, la jeune fille lança soudain au loin sa lamelle de loup. La chance lui sourit ! À moins qu'Arunok lui-même n'ait guidé son jet, ce qui, au final, revenait au même.
Sans le moindre calcul, l'appât avait rebondi sur le petit toujours accroché au corps de sa mère. Intrigué par cet étrange phénomène, le dragonneau observa l'offrande tombée du ciel, oscillant la tête de droite et de gauche, un peu comme un oiseau. Son petit museau s'approcha ensuite de l'objet de sa curiosité pour le renifler et un filet de salive glauque s'allongea jusqu'à terre. Sa langue effilée glissa avec prudence tout du long de l'odorant met… avant de l'engloutir en un éclair !
L'aubaine à peine avalée, le bonheur voulut qu'un nouveau morceau, pareil au premier, apparaisse lui aussi par magie. Naïf, le tout jeune animal leva les yeux pour considérer le vol circulaire de l'ombre familière haut dans les cieux. Habituellement, ses parents lui présentaient directement ses repas, mais qu'importe la méthode après tout ! Le second morceau disparut cette fois sans délai, pas plus que les deux suivants vers lesquels il dandelina même avec précipitation. Il faut dire que le goût inédit de ces gourmandises était des plus savoureux !
Problème. Le délice suivant se présentait de bien étrange manière. Non pas de choir inanimé au sol, ainsi que ses prédécesseurs, celui-ci se trouvait suspendu à une étrange chose tout en s'agitant d'une drôle de façon.
La perplexité du juvénile ne résista pas aux délicieuses effluves qui surpassaient sans peine les habituels relents de brûlé, d'acide et de souffre du lieu de sa naissance.
Dans le mouvement précipité par sa gourmandise, le jeune, embarrassé de l'encombrante traîne de ses ailes, trébucha sur l'un des ossements plus ou moins calcinés servant de décor au paysage. Sans perdre de vue son alléchant objectif, il se releva en geignant avant de fournir un ultime effort pour sautiller avec frénésie jusqu'à l'objet de sa convoitise.
Il touchait au but quand le délice s'enfuit brusquement !
Déconcertée, la petite bête resta un instant coi. Une lueur de détermination dans son jeune regard, elle se rua sur son objectif !
Encore manqué !
La lamelle récalcitrante s'était encore éloignée et gisait à présent à terre, là, sous la protection de l'aile maternelle. Quelle aubaine. Si près de maman, elle ne pouvait lui échapper !
Ramassé pour soigner son attaque, fort de son instinct de chasseur, le dragonneau resta un instant parfaitement immobile en transperçant sa proie du regard. Seule l'extrémité de sa petite queue témoignait de sa tension.
Tout à coup il bondit ! et aussitôt, l'obscurité fut totale.
Oroliz laissa échapper une exclamation de joie, sa prise serrée contre sa poitrine, heureuse de sentir la chaleur du petit corps dodu au travers du sac dont elle venait de l'encapuchonner.
Le moment d'euphorie passée, elle songea avec un peu de peine au vilain tour qu'elle venait de jouer au petit animal touchant de maladresse. De plus, si les hakaroks arboraient une livrée dans les tons de gris ou de bleu selon les individus ou la lumière, les plus jeunes étaient colorés la première année d'un attendrissant violet assez proche de l'envoûtante couleur des iris de Fulbar. Bien qu'elle sache dorénavant qu'il était son frère, elle ne pouvait empêcher son cœur de jouvencelle de s'emballer à chaque rencontre avec la couleur de ce regard viril et émouvant tout à la fois. Mais l'heure n'était pas aux enfantillages ! La vie de ce frère étrange et fascinant, la vie de ses deux frères même ! dépendaient d'elle. Son précieux fardeau pressé contre elle, elle bascula sur le dos pour seulement laisser sa tête dépasser du couvert protecteur de l'aile de la dragonne.
Les sommets flamboyaient à présent sous les assauts du levant. Sur les tons mordorés de nuages éclaboussés par la palette de feu du soleil, elle pouvait voir se découper deux silhouettes. Celle hiératique d'un dragon aux ailes déployées, et l'autre, modeste au centre des cercles de l'animal sacré, d'un Krakaden en bien mauvaise posture.
Bouillant d'une rage muette, Fulbar s'efforçait de penser avec calme. Il s'était mis dans de sales draps, quel crétin ! Monter à ce point diminué à l'assaut d'un ennemi sans rien en savoir était stupide ! indigne d'un gradé de son rang ! Et si au moins cette groondas de douleur pouvait arrêter de lui lacérer les nerfs et l'esprit !
Tandis qu'il ne cessait de pivoter sur lui-même pour ne jamais tourner le dos à la bête qui semblait ne plus se lasser de l'encercler en silence, il porta avec précaution sa main valide à la poche de sa boîte à pilules. Il la sortit avec une extrême lenteur pour la passer dans sa main droite, et réprima une mauvaise mimique en faisant coulisser le minuscule couvercle. Trois petites billes de couleur roulèrent dans sa paume gauche. Après s'être assuré du pouce avoir bien refermé le précieux récipient, il porta doucement la main à sa bouche pour prendre les granules tête renversée, sans toutefois quitter le monstre des yeux.
Il remettait, toujours avec des gestes très mesurés, le pilulier en place quand un son étrange déchira l'air cristallin du petit matin. Tout comme lui, le dragon eut un petit mouvement de tête mais ne détacha pas son regard de son adversaire.
Le curieux phénomène monta à nouveau en échos sur les parois de granit.
Ce bruit, l'hakarok ne le reconnaissait pas, et pourtant il semblait provenir de l'aire où l'attendait son petit. Il lâcha donc l'inconnu pour scruter l'endroit. Lui aussi intrigué, Fulbar fit de même.
Parmi les disques flamboyants plus ou moins bouillonnants, les fumerolles ondoyantes et tout un fatras de roches et d'ossements, un bout de femme levait à bout de bras une petite chose remuante dont elle étendait les ailes diaphanes devant elle.
Le guerrier eut un sursaut au bruit de l'air sifflant soudain à la suite du mastodonte qui venait de plonger à une vitesse stupéfiante.
Grimace de défi et grognement rauque accompagnèrent le Drakhôl lancé à la poursuite de la bête. Comme pour l'autre animal, il se laissa tomber tête en avant, bras à peine écartés pour stabiliser sa chute contrôlée. Et comme la première fois, il ne lui fallut pas longtemps pour rejoindre le mythique animal ralenti par ses ailes démesurées.
Toutefois, même concentré sur son nouvel objectif, le prédateur n'en était pas moins resté vigilant et ne se laissa pas surprendre. Au moment précis où l'homme s'apprêtait à l'agripper, il dévia de sa trajectoire d'un coup d'aile pour pivoter sur lui-même. Bien que surpris, le guerrier réagit aussitôt pour rectifier lui aussi son vol.
Trop tard !
Le fils du monde de Lovic ne put échapper à l'énorme patte griffue qui le happa à la volée. Les serres d'acier assurèrent leur prise avec force et Fulbar se cambra sous l'infernale pression. Sa poitrine prête à éclater, sa blessure malmenée, il ne put se retenir de hurler tout l'air de ses poumons. L'indicible souffrance électrisa sa rage, et fort d'un regain d'énergie inattendu, il posa les deux mains sur le gigantesque doigt le plus proche pour le bombarder aussitôt d'une rafale de décharges électriques. Ce fut au tour de l'animal de brailler de tout son être. La bramée jaillie de sa gueule dans un brasier fut telle que ses ondes sonores déclenchèrent nombre d'éboulis, ajoutant un grondement d'apocalypse à ce mugissement de légende. Trop près du sol, le dragon déséquilibré percuta violemment la roche. Seul le réflexe d'un tortillement salutaire lui permit d'éviter le piège mortel d'une des marmites en fusion. Il n'avait pas lâché sa proie pour autant. Il profita même de sa remise sur pied pour férocement écraser le prisonnier contre le roc.
Fulbar accusa le terrible choc avec un gémissement sourd.
Enragé, oubliant son petit en otage, le monstre fondit sur la tête du guerrier. Son casque coincé dans la tenaille des formidables mâchoires, le Drakhôl, sonné, suffoqua dès la première inspiration de l'haleine irrespirable du prédateur.
Dans un ultime réflexe, le jeune capitaine empoigna à pleines mains l'étrange dentition à lamelles appliquée à tenter de le broyer. Malgré la matière extrêmement résistante de son casque, il put sentir la pression augmenter sur ses tempes. Et même si l'élément de protection résistait, la bête pouvait à tout moment décider de lui arracher la tête.
Le Lovic se concentra donc pour mobiliser tout ce qui lui restait de force malgré les vertiges qui montaient à l'assaut de sa lucidité. Il s'arque-bouta avec l'énergie du désespoir pour tenter de briser l'impitoyable étreinte. Il ne parvint qu'à déchirer gants de combat et paumes sur une denture aussi tranchante que le fil d'un sabre.
Le goût du sang excita l'hakarok. Tête redressée, il souleva le corps de sa victime et commença à le secouer avec frénésie dans un grognement qu'on aurait pu jurer jouissif.
Il suspendit brutalement son jeu. Une pierre venait de l'atteindre dans l'œil !
Après avoir cligné de la paupière, il aperçut un second être humain. Une frêle créature brandissait son précieux petit au-dessus d'un cratère empli d'un liquide verdâtre enfumerollé de jaune !
Saisi, l'hakarok relâcha d'un chouïa sa prise.
À peine conscient de la pression moindre sur son esprit engourdi, dans un ultime réflexe de survie, Fulbar poussa sur la gueule en s'aidant d'un coup de rein. Sa tête dégagée de son casque, il chut avec lourdeur.
Oroliz sentie son cœur bondir en le voyant enfin libéré, libre et vivant ! même si la tenue de sa chevelure témoignait de l'épreuve subie.
Libérée du poids de sa proie, la tête du dragon pointa vers le ciel. Dans le même mouvement, l'animal happa le couvre-chef au fond de ses mâchoires et le fit éclater d'un coup sec.
L'officier à terre sentait le monde danser autour de lui, et dans cet univers fantasmagorique, il lui sembla apercevoir une jeune fille aux nattes vertes lui crier quelque chose. Il s'appliqua à chasser l'ivresse de ses sens et comprit confusément que l'unité en question venait de lui indiquer une direction avant de disparaître. Les sons jusqu'à présent déformés reprirent soudain sens, et le claquement de la fin d'un mot le sortit de sa transe : « …TENTION ! ».
Une ombre gigantesque le couvrit tout à coup et il eut tout juste le temps de se jeter sur le côté. Sans délai, il dut puiser dans les réflexes d'années d'entraînement pour éviter plusieurs coups d'assommoir sous la forme d'une queue véloce, tandis que sous son corps la terre tremblait au rythme de la course d'un géant.
Oroliz !
La lucidité afflua avec fulgurance dans l'esprit du blessé.
Fulbar puisa dans sa volonté pour se relever. Là-bas, Oroliz, le monstre à ses trousses, s'engouffrait dans une cavité à flanc de roche. Un véritable séisme manqua de rompre l'équilibre encore précaire du jeune homme. Le titan venait de percuter de toute sa puissance l'emplacement de l'ouverture trop étroite pour lui.
Le Lovic balaya le sol inégal du regard, il lui fallait son casque !
La découverte de débris à l'aspect familier voilèrent son regard de dépit. Les restes du précieux équipement jonchaient le sol d'éclats de technologie bien incongrus en ce lieu aux accents surnaturels.
Le guerrier avait reporté son attention sur la base de la montagne embrasée par le grand mâle quand un cornement grave lui glaça le sang.
Il hésita un instant à se retourner, et quand il le fit, ce fut pour constater avec effroi que la bête abattue revenait à elle !
Comment cette chose avait-elle pu survivre à pareil coup !?
Le Drakhôl savait ne plus avoir la force de se battre. Il s'appliqua donc à retrouver son calme pour réfléchir le plus rationnellement possible. Vite et bien, surtout ! L'hakarok blessé n'était pas encore sur pied et son compagnon l'avait oublié pour la kidnappeuse. Mais l'un comme l'autre pouvait à tout moment se retourner contre lui ! Il balaya du regard les versants alentour. Celui du refuge fut rapidement repéré… trop loin pour être une option viable. Pendant que les pensées défilaient à toute allure dans son esprit transpercé de souffrance, il se souvint d'une image perçue au ralenti, Sa guide lui avait montré une direction en lui criant quelque chose. Un détail lui revint aussi, un détail qu'il avait remarqué pendant sa descente avec le monstre. Une sorte de grande flèche de pierres blanches clairement visible sur les formes sombres et feu de la vallée aux dragons. Ce signe n'y était pas avant le début de son combat, il en était certain.
La fille aura récolté ces cailloux clairs plus haut pour les disposer à son intention, il n'y avait pas d'autre explication. Il réalisa que l'orientation de ce symbole pouvait fort bien désigner la même direction que le bras de la jeune Aroline en fuite. Sans attendre, il s'appliqua à redresser son cimier. Son panache à peine hissé, le jeune officier décolla pour filer aussi vite que son état le lui permettait vers la position supposé de l'alignement de pierres.
Gagné !
La flèche improvisée était bien là ! et pointait vers une des nombreuses cavités dont le repaire volcanique des hakaroks était truffé. Sans ralentir ni se poser plus de questions, il poursuivit son vol vers ce qui ne pouvait être qu'une échappatoire. Un souffle incendiaire lui picota l'arrière du corps au moment même où il s'engouffrait sous toucher terre dans la brèche à taille humaine. Emporté par son élan, il ne put éviter le choc brutal avec le roc. La galerie virait sec en un brusque crochet sitôt son ouverture passée. Porté par l'instinct de survie, d'un coup de jarret, il se jeta à droite. Son entrée en catastrophe allait lui valoir une sacrée bosse, mais qu'importe ! le virage salutaire le mettait à l'abri des flammes. Le souffle incandescent illumina des parois maintes fois noircies par la marque des irascibles hôtes de la Montagne de Feu.