Seigneur plusieurs fois récompensé de la fantasy francophone – Prix du Cafard Cosmique - Prix Planète SF des blogueurs - 2 x Prix Imaginales – Jean-Philippe JAWORSKI nous fait la joie et l'honneur de répondre à notre curiosité.
Inscrit sur le forum sous le pseudo de "Sarmate", il sera heureux de répondre à vos question à partir de ce soir après 19 heures.
Voici donc ses réponses aux questions de l'interview :
Bienvenue Monsieur Jean-Philippe JAWORSKI, et merci d'avoir eu la gentillesse de répondre à ces quelques questions propres à assouvir la curiosité de nos membres.
Jean-Philippe Jaworski : Merci pour votre intérêt.
Pour commencer, comment vous est venue l'envie d'écrire ? Pourquoi des récits dans le genre de l’imaginaire ?
J.P.J. : La question de l'origine de la vocation littéraire est glissante : y répondre pourrait assécher la source. Le cas de Sartre en est un exemple éloquent… Chez moi, cette envie vient de l'enfance. Pour faire synthétique et paradoxal, j'en proposerai deux interprétations. Je me reconnais dans l'imposture de l'écrivain dégagée par Sartre dans son autobiographie d'enfance Les Mots et dans la théorie sur l'aire intermédiaire d'expérience développée par le psychanalyste Donald W. Winnicott dans Jeu et réalité. La deuxième partie de la réponse découle de la première. Ce que Winnicott appelle l'aire intermédiaire d'expérience correspond à l'interface psychique entre la subjectivité et la réalité extérieure, ce qu'en d'autres termes on peut appeler l'imaginaire. Cela a probablement orienté mes goûts vers le mythe, le fantastique et la fantasy.
Que pouvez-vous nous dire sur vos influences littéraires ? Quelles sont vos sources d’inspirations?
J.P.J. : Quelle question ! Elle demanderait une réponse aussi longue qu'incertaine, dans la mesure où mes influences ont varié selon mon âge et mon humeur… Disons, en vrac, que des auteurs comme Homère, Virgile, Chrétien de Troyes, William Shakespeare, J.K. Huysmans, J.R.R. Tolkien, J.L. Borges, Jean Giono, Marguerite Yourcenar m'ont d'une façon ou d'une autre marqué. J'ai également lu beaucoup de littérature de l'imaginaire ; j'ai été marqué par les grands fantastiqueurs du XIXe siècle (Poe, Gautier, Maupassant, Villiers de l'Isle-Adam), le cycle de la Culture de Banks, les premiers romans du cycle des Mythagos de Robert Holdstock, certains romans de fantasy d'Ursula Le Guin (les trois premiers volumes du cycle de Terremer et le récent Lavinia, qui rejoint mon admiration pour Virgile), et j'en oublie des quantités… Je lis également une profusion de biographies et d'essais historiques, dans lesquels je pille énormément de matière pour mes récits d'inspiration celtique, médiévale ou Renaissance. Je dois toutefois rendre à César ce qui lui appartient : Tolkien a eu une importance énorme dans mes goûts de joueur et d'écrivain. Mes méthodes sont largement inspirées des siennes, en particulier dans la façon dont il a bâti une fantasy où le monde secondaire est pétri de références voilées de nature littéraire et historique.
Vous avez fait partie de l'univers du Jeu de Rôle : Comment avez-vous vécu cette triste période courant des années 90 où le JdR fut tant décrié ? Cela vous a-t-il influencé d’une quelconque manière ? Dans quelle mesure le passage par le Jeu de Rôle vous a-t-il servi dans le domaine de la création littéraire ?
J.P.J. : Quelle triste période, en effet, que celle de l'affaire de Carpentras et de la campagne de presse qui a suivi… Alors que le jeu de rôle était en train de se démocratiser en France et n'avait jamais compté autant de clubs et de joueurs, la détestable manœuvre de Le Pen, en quête d'un bouc-émissaire pour détourner les soupçons qui pesaient (à juste titre) sur la responsabilité de l'extrême droite dans la profanation du cimetière de Carpentras, a commis des dégâts irréversibles dans la communauté rôliste. Je vois encore maître Gilbert Collard brandissant devant la presse une enveloppe vide où il prétendait avoir les noms des profanateurs, au sujet desquels il faisait courir le bruit qu'il s'agissait de rôlistes fils de notables… Je reste écœuré de voir le même Collard toujours invité sur les plateaux de télévision, parlant il est vrai de façon plus déclarée au nom de la fachosphère. Concrètement, j'ai vécu les effets délétères de cette manipulation. La campagne de presse anti-jeu de rôle a excité l'hostilité du corps enseignant contre le club de jeu de rôle que j'avais co-fondé dans le lycée où je commençais à enseigner ; alors que ce club fonctionnait remarquablement, il a très vite périclité devant la défiance de l'institution.
Cela m'a-t-il influencé ? Tout au plus cela m'a affecté, parce que je me suis senti diffamé en tant que joueur, et parce que j'ai été effaré de voir des collègues qui me paraissaient raisonnables très rapidement intoxiqués par les médias.
J'ai commencé à pratiquer le jeu de rôle alors que j'écrivais déjà – ma vocation a été précoce. Il n'a donc pas été un déclencheur, juste un autre mode d'expression et surtout un autre mode d'immersion imaginaire. Dans un sens, il a même retardé le début de ma carrière littéraire, parce que je lui ai consacré beaucoup de temps et d'énergie. Je ne le regrette en rien. Même si je n'en connaissais pas le concept, le jeu de rôle m'a amené à découvrir l'intermédialité, la circulation de l'imaginaire à travers différents modes d'expression. Il m'a amené à travailler de façon empirique la question des points de vue, des accroches, des procédés narratifs qu'on appelle « fusils de Tchekhov » ou « paiements » en dramaturgie, et plus simplement « préparations », pour reprendre la notion exposée par Maupassant dans Le Roman. Enfin, le jeu de rôle est une formidable école de construction du personnage en tant qu'actant.
Quelle est votre approche de la SFFF ? Quels éléments rendent à votre avis vos récits différents de ceux d'autres écrivains du genre ?
J.P.J. : J'écris de la fantasy teintée d'histoire et de fantastique. Je ne suis pas un auteur de science-fiction, bien que ce genre m'intéresse. Il m'arrive d'écrire en me servant de la fantasy comme d'un modeste outil de prospective anthropologique : admettre la présence du surnaturel dans l'univers de la fiction permet d'essayer de se représenter la pensée magique à l'œuvre dans diverses sociétés humaines, passées ou, pourquoi pas, actuelles. Mon but premier reste quand même de fournir de la littérature d'évasion ! Je ne pense pas être bien placé pour comparer mes livres à ceux d'autres écrivains du genre : c'est me demander d'être juge et partie. Tout au plus puis-je fournir un avis autorisé sur mes intentions.
Quelle est votre rapport à l’écriture, avez-vous rencontré des difficultés pour atteindre votre niveau technique actuel ?
J.P.J. : L'écriture est pour moi un travail permanent. La rédaction à proprement parler n'est que la face émergée de l'iceberg : en tant que lecteur, en tant que professeur quand je fais de l'analyse littéraire, en tant que promeneur ou même en tant que coureur quand je brasse des problèmes de composition, je travaille ma langue et mes récits. Quant aux difficultés, je ne connais que cela. Je n'écris pas mieux qu'avant, je dois d'ailleurs faire des efforts pour que la qualité de ce que je produis ne faiblisse pas. L'expérience apporte simplement un regard plus critique sur ce que je compose ; j'identifie plus facilement mes défauts. Cela ne livre pas forcément des solutions aux problèmes rencontrés. Par ailleurs, l'un des plus grands obstacles que je rencontre est le manque de temps. Cela induit l'écriture discontinue de récits dont la narration est filée. Ce paradoxe génère des difficultés en cascade : oublis, absence de vision d'ensemble, problèmes d'unité de ton…
Combien de temps vous a demandé l’écriture de votre premier roman ? Et aujourd’hui, combien de temps vous faut-il en moyenne pour écrire un roman ?
J.P.J. : De quel roman parlons-nous ? Du premier roman écrit ? Ou du premier roman publié ? (Qui fut en fait le troisième de mes romans achevés.) Heureusement, la réponse est toujours identique : plusieurs années. C'est encore valable actuellement.
Vous êtes manifestement très à l'aise dans le format de la nouvelle, quels enseignements en retirez-vous ? Vos nouvelles publiées ont-elles influencé les éditeurs qui ont pris en charge vos romans ?
J.P.J. : Je ne me sens pas si à l'aise que cela dans la nouvelle. Je suis très loin de la virtuosité des maîtres du genre. Disons que j'applique une méthode, en artisan appliqué. Mes nouvelles ont certes joué un rôle dans le lancement de ma carrière littéraire, puisqu'elles ont convaincu André-François Ruaud de me publier, alors que mes premiers romans avaient été (à juste titre) systématiquement refusés. Cela dit, les éditeurs préfèrent quand même les romans, qui sont plus rentables…
Est-ce indiscret de vous demander sur quels projets vous travaillez à l’heure actuelle ?
Le fier Bellovèse a-t-il sonné le glas de l'impertinent Benvenuto ?
J.P.J. : Je travaille toujours sur la deuxième partie de Chasse royale, qui est déjà plus importante que la première… Quant à Benvenuto, il n'a pas besoin de Bellovèse pour se mettre dans le pétrin.
Quel sentiment éprouvez-vous au regard de vos publications, maintes fois récompensées ?
J.P.J. : Je suis très heureux d'avoir été honoré par ces prix. Pour ce qui est de mon regard sur les textes, il fluctue. Parfois, j'en suis très satisfait ; un autre jour, je n'en verrai que les insuffisances.
Quel est votre rapport face aux critiques ? Vos récompenses ?
J.P.J. : Je suis les critiques et je reçois les récompenses avec plaisir. C'est une vraie satisfaction de voir que les textes sur lesquels on a beaucoup sué rencontrent le public. Ma sensibilité aux critiques évolue en fonction du temps écoulé depuis la parution des livres : je reste très susceptible peu après la publication, et je suis plus distancié par la suite. Les critiques négatives, quand elles sont fondées, sont très enrichissantes et permettent de cerner mes défaillances. Quand elles sont infondées, elles m'amusent. Je me souviens par exemple d'un billet affirmant qu'on voyait s'affirmer le style des nouvelles de Janua vera à mesure qu'on avançait dans la lecture, alors que la composition du recueil n'est pas diachronique…
Que pensez-vous de vos rapports avec vos éditeurs ?
J.P.J. : Ce sont des rapports très amicaux.
De plus en plus d'auteurs – parfois reconnus - se tournent vers l'auto-publication, que pensez-vous de cette nouvelle voie ?
J.P.J. : C'est un autre métier, que je n'aurais ni le temps ni la compétence de faire.
Avez-vous une manie, un rituel, un objet ou un endroit fétiche essentiel pour être dans les meilleures conditions d'écriture ?
J.P.J. : Je n’ai ni manie ni rituel pour écrire. En revanche, je travaille beaucoup mieux quand j’ai accès à mes dictionnaires, qui sont vraiment des outils indispensables. J’ai aussi besoin des documents de travail que je me suis établis et qui permettent de structurer l’univers de la fiction. Ainsi, à propos de Rois du Monde, mon cycle en cours, j’ai des index de noms de personnages, des lieux et des cours d’eau antiques. En ce qui concerne les endroits où j’écris, il en est de deux types. Pour l’essentiel, je travaille au calme, dans mon bureau. Je suis également capable d’écrire dans des lieux publics comme les cafés, les salles d’examen, le train. En revanche, je suis incapable d’écrire dans les lieux semi-privés comme une chambre d’invité ou une chambre d’hôtel. Je ne parviens pas à comprendre d’où vient ce blocage.
La pratique du jogging est aussi un complément important au travail d’écriture. C’est dû, je pense, à la combinaison d’une meilleure irrigation du cerveau et d’une certaine forme de concentration. Quand je me heurte à une impasse narrative, je trouve souvent la solution après trente à quarante minutes de course où j’ai pris le temps d’y réfléchir.
Auriez-vous un conseil à prodiguer aux auteurs en herbe qui espèrent être publiés ?
J.P.J. : Soyez tenaces – ou masochistes. L'essentiel, c'est la capacité à l'encaisse. Il faut beaucoup travailler : avoir une activité alimentaire, parce que la littérature ne paie pas, ou très mal. Il faut aussi beaucoup travailler pour publier et, surtout, pour rencontrer le public. Le talent n'est qu'un atout assez accessoire : c'est la qualité et la régularité du travail qui font la différence. Bref, il faut travailler deux fois plus que les autres. Lisez beaucoup. Vivez beaucoup. Écrivez beaucoup. Vous essuyez des refus ? C'est normal. Relevez-vous. Recommencez.
Un dernier mot pour conclure ?
J.P.J. : Je laisse la parole à l'impertinent Jean Giraudoux. Un petit extrait de la scène 9 de l'acte II d'Ondine :
« ONDINE : Vous êtes le poète, n'est-ce pas ?
LE POÈTE : On le dit.
ONDINE : Vous n'êtes pas très beau...
LE POÈTE : On le dit aussi...On le dit plus bas...Mais comme les oreilles des poètes ne sont sensibles qu'aux chuchotements, je l'entends d'autant mieux.
ONDINE : Est-ce que cela n'embellit point, d'écrire ?
LE POÈTE : J'étais beaucoup plus laid ! »
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Inscrit sur le forum sous le pseudo de "Sarmate", il sera heureux de répondre à vos question à partir de ce soir après 19 heures.
Voici donc ses réponses aux questions de l'interview :
Bienvenue Monsieur Jean-Philippe JAWORSKI, et merci d'avoir eu la gentillesse de répondre à ces quelques questions propres à assouvir la curiosité de nos membres.
Jean-Philippe Jaworski : Merci pour votre intérêt.
Pour commencer, comment vous est venue l'envie d'écrire ? Pourquoi des récits dans le genre de l’imaginaire ?
J.P.J. : La question de l'origine de la vocation littéraire est glissante : y répondre pourrait assécher la source. Le cas de Sartre en est un exemple éloquent… Chez moi, cette envie vient de l'enfance. Pour faire synthétique et paradoxal, j'en proposerai deux interprétations. Je me reconnais dans l'imposture de l'écrivain dégagée par Sartre dans son autobiographie d'enfance Les Mots et dans la théorie sur l'aire intermédiaire d'expérience développée par le psychanalyste Donald W. Winnicott dans Jeu et réalité. La deuxième partie de la réponse découle de la première. Ce que Winnicott appelle l'aire intermédiaire d'expérience correspond à l'interface psychique entre la subjectivité et la réalité extérieure, ce qu'en d'autres termes on peut appeler l'imaginaire. Cela a probablement orienté mes goûts vers le mythe, le fantastique et la fantasy.
Que pouvez-vous nous dire sur vos influences littéraires ? Quelles sont vos sources d’inspirations?
J.P.J. : Quelle question ! Elle demanderait une réponse aussi longue qu'incertaine, dans la mesure où mes influences ont varié selon mon âge et mon humeur… Disons, en vrac, que des auteurs comme Homère, Virgile, Chrétien de Troyes, William Shakespeare, J.K. Huysmans, J.R.R. Tolkien, J.L. Borges, Jean Giono, Marguerite Yourcenar m'ont d'une façon ou d'une autre marqué. J'ai également lu beaucoup de littérature de l'imaginaire ; j'ai été marqué par les grands fantastiqueurs du XIXe siècle (Poe, Gautier, Maupassant, Villiers de l'Isle-Adam), le cycle de la Culture de Banks, les premiers romans du cycle des Mythagos de Robert Holdstock, certains romans de fantasy d'Ursula Le Guin (les trois premiers volumes du cycle de Terremer et le récent Lavinia, qui rejoint mon admiration pour Virgile), et j'en oublie des quantités… Je lis également une profusion de biographies et d'essais historiques, dans lesquels je pille énormément de matière pour mes récits d'inspiration celtique, médiévale ou Renaissance. Je dois toutefois rendre à César ce qui lui appartient : Tolkien a eu une importance énorme dans mes goûts de joueur et d'écrivain. Mes méthodes sont largement inspirées des siennes, en particulier dans la façon dont il a bâti une fantasy où le monde secondaire est pétri de références voilées de nature littéraire et historique.
Vous avez fait partie de l'univers du Jeu de Rôle : Comment avez-vous vécu cette triste période courant des années 90 où le JdR fut tant décrié ? Cela vous a-t-il influencé d’une quelconque manière ? Dans quelle mesure le passage par le Jeu de Rôle vous a-t-il servi dans le domaine de la création littéraire ?
J.P.J. : Quelle triste période, en effet, que celle de l'affaire de Carpentras et de la campagne de presse qui a suivi… Alors que le jeu de rôle était en train de se démocratiser en France et n'avait jamais compté autant de clubs et de joueurs, la détestable manœuvre de Le Pen, en quête d'un bouc-émissaire pour détourner les soupçons qui pesaient (à juste titre) sur la responsabilité de l'extrême droite dans la profanation du cimetière de Carpentras, a commis des dégâts irréversibles dans la communauté rôliste. Je vois encore maître Gilbert Collard brandissant devant la presse une enveloppe vide où il prétendait avoir les noms des profanateurs, au sujet desquels il faisait courir le bruit qu'il s'agissait de rôlistes fils de notables… Je reste écœuré de voir le même Collard toujours invité sur les plateaux de télévision, parlant il est vrai de façon plus déclarée au nom de la fachosphère. Concrètement, j'ai vécu les effets délétères de cette manipulation. La campagne de presse anti-jeu de rôle a excité l'hostilité du corps enseignant contre le club de jeu de rôle que j'avais co-fondé dans le lycée où je commençais à enseigner ; alors que ce club fonctionnait remarquablement, il a très vite périclité devant la défiance de l'institution.
Cela m'a-t-il influencé ? Tout au plus cela m'a affecté, parce que je me suis senti diffamé en tant que joueur, et parce que j'ai été effaré de voir des collègues qui me paraissaient raisonnables très rapidement intoxiqués par les médias.
J'ai commencé à pratiquer le jeu de rôle alors que j'écrivais déjà – ma vocation a été précoce. Il n'a donc pas été un déclencheur, juste un autre mode d'expression et surtout un autre mode d'immersion imaginaire. Dans un sens, il a même retardé le début de ma carrière littéraire, parce que je lui ai consacré beaucoup de temps et d'énergie. Je ne le regrette en rien. Même si je n'en connaissais pas le concept, le jeu de rôle m'a amené à découvrir l'intermédialité, la circulation de l'imaginaire à travers différents modes d'expression. Il m'a amené à travailler de façon empirique la question des points de vue, des accroches, des procédés narratifs qu'on appelle « fusils de Tchekhov » ou « paiements » en dramaturgie, et plus simplement « préparations », pour reprendre la notion exposée par Maupassant dans Le Roman. Enfin, le jeu de rôle est une formidable école de construction du personnage en tant qu'actant.
Quelle est votre approche de la SFFF ? Quels éléments rendent à votre avis vos récits différents de ceux d'autres écrivains du genre ?
J.P.J. : J'écris de la fantasy teintée d'histoire et de fantastique. Je ne suis pas un auteur de science-fiction, bien que ce genre m'intéresse. Il m'arrive d'écrire en me servant de la fantasy comme d'un modeste outil de prospective anthropologique : admettre la présence du surnaturel dans l'univers de la fiction permet d'essayer de se représenter la pensée magique à l'œuvre dans diverses sociétés humaines, passées ou, pourquoi pas, actuelles. Mon but premier reste quand même de fournir de la littérature d'évasion ! Je ne pense pas être bien placé pour comparer mes livres à ceux d'autres écrivains du genre : c'est me demander d'être juge et partie. Tout au plus puis-je fournir un avis autorisé sur mes intentions.
Quelle est votre rapport à l’écriture, avez-vous rencontré des difficultés pour atteindre votre niveau technique actuel ?
J.P.J. : L'écriture est pour moi un travail permanent. La rédaction à proprement parler n'est que la face émergée de l'iceberg : en tant que lecteur, en tant que professeur quand je fais de l'analyse littéraire, en tant que promeneur ou même en tant que coureur quand je brasse des problèmes de composition, je travaille ma langue et mes récits. Quant aux difficultés, je ne connais que cela. Je n'écris pas mieux qu'avant, je dois d'ailleurs faire des efforts pour que la qualité de ce que je produis ne faiblisse pas. L'expérience apporte simplement un regard plus critique sur ce que je compose ; j'identifie plus facilement mes défauts. Cela ne livre pas forcément des solutions aux problèmes rencontrés. Par ailleurs, l'un des plus grands obstacles que je rencontre est le manque de temps. Cela induit l'écriture discontinue de récits dont la narration est filée. Ce paradoxe génère des difficultés en cascade : oublis, absence de vision d'ensemble, problèmes d'unité de ton…
Combien de temps vous a demandé l’écriture de votre premier roman ? Et aujourd’hui, combien de temps vous faut-il en moyenne pour écrire un roman ?
J.P.J. : De quel roman parlons-nous ? Du premier roman écrit ? Ou du premier roman publié ? (Qui fut en fait le troisième de mes romans achevés.) Heureusement, la réponse est toujours identique : plusieurs années. C'est encore valable actuellement.
Vous êtes manifestement très à l'aise dans le format de la nouvelle, quels enseignements en retirez-vous ? Vos nouvelles publiées ont-elles influencé les éditeurs qui ont pris en charge vos romans ?
J.P.J. : Je ne me sens pas si à l'aise que cela dans la nouvelle. Je suis très loin de la virtuosité des maîtres du genre. Disons que j'applique une méthode, en artisan appliqué. Mes nouvelles ont certes joué un rôle dans le lancement de ma carrière littéraire, puisqu'elles ont convaincu André-François Ruaud de me publier, alors que mes premiers romans avaient été (à juste titre) systématiquement refusés. Cela dit, les éditeurs préfèrent quand même les romans, qui sont plus rentables…
Est-ce indiscret de vous demander sur quels projets vous travaillez à l’heure actuelle ?
Le fier Bellovèse a-t-il sonné le glas de l'impertinent Benvenuto ?
J.P.J. : Je travaille toujours sur la deuxième partie de Chasse royale, qui est déjà plus importante que la première… Quant à Benvenuto, il n'a pas besoin de Bellovèse pour se mettre dans le pétrin.
Quel sentiment éprouvez-vous au regard de vos publications, maintes fois récompensées ?
J.P.J. : Je suis très heureux d'avoir été honoré par ces prix. Pour ce qui est de mon regard sur les textes, il fluctue. Parfois, j'en suis très satisfait ; un autre jour, je n'en verrai que les insuffisances.
Quel est votre rapport face aux critiques ? Vos récompenses ?
J.P.J. : Je suis les critiques et je reçois les récompenses avec plaisir. C'est une vraie satisfaction de voir que les textes sur lesquels on a beaucoup sué rencontrent le public. Ma sensibilité aux critiques évolue en fonction du temps écoulé depuis la parution des livres : je reste très susceptible peu après la publication, et je suis plus distancié par la suite. Les critiques négatives, quand elles sont fondées, sont très enrichissantes et permettent de cerner mes défaillances. Quand elles sont infondées, elles m'amusent. Je me souviens par exemple d'un billet affirmant qu'on voyait s'affirmer le style des nouvelles de Janua vera à mesure qu'on avançait dans la lecture, alors que la composition du recueil n'est pas diachronique…
Que pensez-vous de vos rapports avec vos éditeurs ?
J.P.J. : Ce sont des rapports très amicaux.
De plus en plus d'auteurs – parfois reconnus - se tournent vers l'auto-publication, que pensez-vous de cette nouvelle voie ?
J.P.J. : C'est un autre métier, que je n'aurais ni le temps ni la compétence de faire.
Avez-vous une manie, un rituel, un objet ou un endroit fétiche essentiel pour être dans les meilleures conditions d'écriture ?
J.P.J. : Je n’ai ni manie ni rituel pour écrire. En revanche, je travaille beaucoup mieux quand j’ai accès à mes dictionnaires, qui sont vraiment des outils indispensables. J’ai aussi besoin des documents de travail que je me suis établis et qui permettent de structurer l’univers de la fiction. Ainsi, à propos de Rois du Monde, mon cycle en cours, j’ai des index de noms de personnages, des lieux et des cours d’eau antiques. En ce qui concerne les endroits où j’écris, il en est de deux types. Pour l’essentiel, je travaille au calme, dans mon bureau. Je suis également capable d’écrire dans des lieux publics comme les cafés, les salles d’examen, le train. En revanche, je suis incapable d’écrire dans les lieux semi-privés comme une chambre d’invité ou une chambre d’hôtel. Je ne parviens pas à comprendre d’où vient ce blocage.
La pratique du jogging est aussi un complément important au travail d’écriture. C’est dû, je pense, à la combinaison d’une meilleure irrigation du cerveau et d’une certaine forme de concentration. Quand je me heurte à une impasse narrative, je trouve souvent la solution après trente à quarante minutes de course où j’ai pris le temps d’y réfléchir.
Auriez-vous un conseil à prodiguer aux auteurs en herbe qui espèrent être publiés ?
J.P.J. : Soyez tenaces – ou masochistes. L'essentiel, c'est la capacité à l'encaisse. Il faut beaucoup travailler : avoir une activité alimentaire, parce que la littérature ne paie pas, ou très mal. Il faut aussi beaucoup travailler pour publier et, surtout, pour rencontrer le public. Le talent n'est qu'un atout assez accessoire : c'est la qualité et la régularité du travail qui font la différence. Bref, il faut travailler deux fois plus que les autres. Lisez beaucoup. Vivez beaucoup. Écrivez beaucoup. Vous essuyez des refus ? C'est normal. Relevez-vous. Recommencez.
Un dernier mot pour conclure ?
J.P.J. : Je laisse la parole à l'impertinent Jean Giraudoux. Un petit extrait de la scène 9 de l'acte II d'Ondine :
« ONDINE : Vous êtes le poète, n'est-ce pas ?
LE POÈTE : On le dit.
ONDINE : Vous n'êtes pas très beau...
LE POÈTE : On le dit aussi...On le dit plus bas...Mais comme les oreilles des poètes ne sont sensibles qu'aux chuchotements, je l'entends d'autant mieux.
ONDINE : Est-ce que cela n'embellit point, d'écrire ?
LE POÈTE : J'étais beaucoup plus laid ! »
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Sept fois à terre, huit fois debout !