Prix Elbakin 2013 avec "Porcelaine", prix Rosny Aîné et prix Bob Morane avec "Les nuages de Magellan", Estelle Faye est l'une des voix les plus marquantes de la SFFF actuelle. Elle participe également au podcast procrastination en compagnie de Lionel Davoust et Mélanie Fazi.

Elle nous offre ici son point de vue sur des questions essentielles que nous nous posons.


Bienvenue Estelle Faye, et merci d'avoir eu la gentillesse de répondre à ces quelques questions propres à assouvir la curiosité de nos membres.

Comment vous est venue l'envie d'écrire ?

J’ai toujours eu des histoires dans la tête, depuis toute petite. J’ai commencé à en raconter à mon petit frère, à nos amis. En primaire, j’ai monté ma première troupe de théâtre et mon premier groupe de Jeux de Rôles. Un peu par hasard, je suis entrée dans une école de scénario ( la FEMIS, à Paris) qui a un avantage : elle est accessible sur concours, donc sans gros frais de scolarité. Peu avant de passer mon diplôme, j’ai écris une nouvelle pour un Appel à Textes, elle a été prise, et elle a été repérée par un directeur de collection, qui m’a fait écrire mon premier roman. Ensuite, j’ai continué à écrire.

Pourquoi des récits dans le genre de l’Imaginaire ?

L’Imaginaire a toujours été là, pour moi. Quand j’étais jeune, je voyais en boucle des films de fantasy, je lisais les romans de SF de ma mère… J’aime les romans qui font voyager loin, qui nous font sortir de notre carcasse, et l’Imaginaire est idéal pour ça !

Quelles sont vos influences littéraires ? Vos sources d’inspirations ?

Je lis beaucoup, mais mon inspiration vient autant de films, de mes voyages, de rencontres… que de livres.

Parmi les livres qui m’ont marquée, il y a des classiques de la SF et de la Fantasy ( Cristal qui songe, Le Seigneur des Anneaux), la première génération de Fantasy française, avec Mathieu Gaborit ou encore Sabrina Calvo, du roman gothique, du roman aux frontières du fantastique, comme Jane Eyre ou L’Auberge de la Jamaïque, du roman maritime comme Typhon ou L’île au trésor, du roman d’horreur avec une légère préférence pour Clive Barker, le réalisme magique d’Amérique du Sud, ou encore des livres à la frontière des genres comme ceux de Francis Berthelot…


Quelle est votre approche de la SF.F.F ?

Avant tout j’écris des histoires, portées par des personnages. C’est ça l’essentiel. Ce sont les personnages et l’histoire qui mènent le livre. J’aime la SFFF mais je ne cherche pas à faire rentrer mes romans dans des cases ou dans des genres à tout prix.

Pensez-vous vos romans différents de ceux des autres écrivains du genre, et pourquoi ?

Je ne cherche pas l’originalité avant tout, je pense que c’est le meilleur moyen pour réinventer l’eau tiède, pour réécrire des romans qui ont déjà été lus cent fois. J’écris avec le plus de sincérité possible, des histoires qui viennent des tripes, qui me tiennent à cœur… C’est ça, surtout, qui rend une histoire unique, pour moi : la sincérité de l’écriture.

Quel est votre rapport à l’écriture, avez-vous rencontré des difficultés pour atteindre votre niveau technique actuel ? Si oui, de quel ordre ? Comment les avez-vous surmontées ?

Chaque roman que je commence est comme un saut dans le vide, il est un peu au-dessus de mon niveau. Et tous m’aident à progresser.
En fait, pour moi, l’une des plus grandes difficultés, c’est de trouver le bon moment pour écrire une histoire : il faut qu’elle ait assez maturé dans ma tête, que j’ai assez d’expérience pour m’y attaquer. Mais il ne faut pas reculer trop longtemps avant d’aborder un projet ambitieux, sinon on ne le concrétise jamais.

Ce qui m’aide beaucoup à y voir plus clair dans tout ça, et à progresser en général, ce sont de grandes discussions avec mes bêta-lecteurs, avec des amis auteurs, avec mes éditeurs…


Avez-vous une manie, un rituel, un objet ou un endroit fétiche essentiel(s) pour être dans les meilleures conditions d'écriture ?

J’ai la chance, chez moi, d’avoir un bureau dont je peux fermer la porte. Quand j’ai une deadline qui se rapproche, ça m’aide vraiment à me concentrer. Mais j’aime aussi écrire ailleurs, sur la terrasse de ma tante dans le sud-ouest ou dans la maison familiale en Charente-Maritime, dans le jardin sous les figuiers.

Quand j’écris, j’ai souvent de la musique dans les oreilles, et une tasse de thé ou de café à porter de main.


Combien de temps vous a demandé l’écriture de votre premier roman ? Et aujourd’hui, combien de temps vous faut-il en moyenne pour achever un nouveau roman ?

J’ai commencé l’écriture de mon premier roman en mai 2009, en rentrant du festival des Imaginales où j’avais rencontré mon premier directeur de collection, et il m’a fallu de mémoire un peu plus d’un an pour le finir.
Mais ce délai varie vraiment selon les romans : certains s’écrivent en quelques mois, et là je suis en train de boucler un projet pour lequel j’a commencé à prendre des notes en 2009, en parallèle de l’écriture de mon premier roman ( je travaille quasiment toujours sur plusieurs histoires en même temps).


Si vous avez pratiqué l'art de la nouvelle, quels enseignements en retirez-vous ? Vos nouvelles publiées ont-elles influencé les éditeurs qui ont pris en charge votre premier roman ?

J’ai rencontré mon premier directeur de collection grâce à une nouvelle, comme je le disais plus haut, et c’est un très bon moyen de faire ses premiers pas dans le monde de l’édition.
Mais les nouvelles permettent également de tester de nouveaux genres, de nouveaux mondes, de nouvelles manières de raconter des histoires… Elles peuvent aussi nous confronter à de nouveaux défis littéraires.
C’est très formateur, pour moi.


Pouvez-vous nous raconter votre accession à l'édition chez un éditeur tel que Scrineo ?

Jean-Paul Arif, l’éditeur de Scrineo, m’a contacté peu après la parution de mon roman Porcelaine, qui s’est fait remarqué notamment grâce au Prix Elbakin.
Je lui présenté le synopsis puis les premiers chapitres de ma série La Voie des Oracles, nous les avons retravaillés ensemble, puis je me suis lancée dans l’écriture des romans.

D’une manière générale, j’aime beaucoup discuter de mes projets très en amont, dès l’étape du synopsis, avec de potentiels éditeurs, mais tous les auteurs ne fonctionnent pas ainsi.  


Sur quels projets travaillez-vous à l’heure actuelle ?

Je travaille en parallèle sur un roman adulte et un Young Adult, et à l’automne je vais commencer à écrire les prochains tomes de ma série jeunesse pour Nathan ( j’ai déjà les synopsis).
J’aime varier les genres et les univers.


Quel sentiment éprouvez-vous au regard de vos publications ?

Quand j’ai terminé un roman, en général, je n’ai plus l’impression qu’il m’appartienne totalement. Il appartient aux lecteurs, et quand pour une raison ou une autre j’en relis des passages, je n’ai plus complètement l’impression de l’avoir écrit. C’est comme s’il se détachait de moi pour vivre ça vie, et au fond c’est tant mieux.

Quel est votre rapport face aux critiques ?

J’ai la chance d’avoir souvent de très bons retours de la part des lecteurs, un grand merci à eux !
Un de mes romans, Les Seigneurs de Bohen, a eu quelques critiques, disons, très polémiques, mais avec largement assez d’avis enthousiastes de l’autre côté pour compenser.
Et puis j’aime assez qu’un de mes livres fasse réagir, au moins ce n’est pas de l’eau tiède. Au final, la polémique a plutôt aidé à faire connaître le livre, et elle a boosté les ventes.
En fait, le pire qui puisse arriver à un livre, c’est qu’on ne parle pas de lui.


Que pensez-vous de vos rapports avec vos éditeurs ?

J’ai la chance aujourd’hui de travailler avec des éditeurs qui veulent faire les mêmes livres que moi, qui comprennent vraiment où je veux aller.
Mais je sais que ce n’est pas gagné pour autant.
Surtout, j’essaye de placer chacun de mes romans chez un éditeur qui lui corresponde, et dont la manière de travailler va bien avec la mienne . Plus que la taille de l’éditeur, pour moi, c’est cela qui est important.


À l'heure où les comportements misogynes sont de plus en plus dénoncés au sein du monde de l'édition, votre condition de femme vous a-t-elle semblé, à un moment ou à un autre, un frein à votre carrière d'autrice ?

Il est évidemment plus difficile de faire carrière quand on est une autrice, surtout quand on écrit des romans adultes. Ce n’est pas une impression, c’est un fait. Les autrices sont largement moins représentées dans les médias, dans les grands prix littéraire en catégorie adulte. En festival, nous sommes encore trop souvent cantonnées à certains sujets de table ronde comme «  les personnages féminins ». Même si c’est important d’en parler, cela ne veut pas dire que nous devons être réduites à cela, au fait d’être des femmes.
On appelle encore trop peu souvent les autrices pour parler d’Histoire, de world building, de scènes d’action, même quand nous maîtrisons ces sujets…
Heureusement, certains jeunes festivals, comme l’Ouest Hurlant, commencent à faire bouger les choses.

Trop souvent encore, quand on écrit sur des sujets sérieux, il va se trouver des lecteurs (qui en général n’y connaissent rien) pour remettre notre travail en question. Cela n’arrive pas, à ce que j’ai entendu, à mes collègues masculins.


Que pensez-vous de la place actuelle des autrices dans l'édition en général et les genres de l'Imaginaire en particulier ?

Comme je l’ai dit juste avant, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour arriver à une véritable égalité.
Ce qui est compliqué aussi, dans les genres de l’Imaginaire, c’est que notre milieu a longtemps eu la réputation d’être plus féministe, plus progressiste que celui de la littérature générale. Cela rend parfois les remises en question plus ardues.


Quel avenir, selon vous, pour l'édition francophone dans les genres de l'Imaginaire ?  

Au tournant des années 2000, et pendant environ quinze ans, il y a eu une sorte d’âge d’or dans la SFFF française, avec des romans de plein de genres différents, avec à la fois de fortes personnalités et de vraies bonnes histoires, qui trouvaient leur place chez des éditeurs passionnés.

Depuis quelques années, hélas, j’ai l’impression que cette période passionnante touche à sa fin. Aujourd’hui, les livres qui sont mis en avant se rapprochent de plus en plus de la littérature générale ( et les livres de littérature générale prennent de plus en plus de place dans les grands prix d’Imaginaire, alors qu’ils n’ont pas besoin de cela pour être connus). Une partie du milieu cherche à être respectable, met en avant des livres qui jouent davantage sur des effets de style que sur l’évasion ou encore l’incarnation des personnages.
L’Imaginaire risque d’y perdre une part de sa différence, et, au fond, de son âme.  


Quel avenir, selon vous, pour la SFFF parmi les autres genres de la littérature ?  

Ailleurs qu’en France, dans de nombreux pays, la SFFF se porte mieux, heureusement. Elle apporte au grand public des histoires sans cesse plus variées, des personnages très divers, avec de vraies réflexions également, mais sans perdre de vue l’évasion et l’aventure.
C’est dommage que la France emprunte un chemin inverse…


De plus en plus d'auteurs – parfois reconnus - se tournent vers l'auto-publication, que pensez-vous de cette voie ?

Il se passe des choses passionnantes dans l’auto-publication. Après, pour un auteur, cela demande des compétences que je ne possède pas forcément, et un investissement qui, je l’avoue, me fait un peu peur. Donc de mon côté je reste avec mes éditeurs en tant qu’autrice, mais en tant que lectrice je lis de tout, et donc des livres auto-édités, entre autres.

Auriez-vous un conseil à prodiguer aux auteurs en herbe qui espèrent être publiés ?

Lisez. Lisez beaucoup. Ne suivez pas forcément toutes les règles d’écriture, trouvez celles qui vous correspondent.
Renseignez vous avant de signer avec un éditeur, ou avant de tenter l’auto-publication d’ailleurs.

Evitez juste l’édition à compte d’auteur ( quand un « éditeur » vous demande de payer pour être édité, là c’est vraiment une impasse).

Ecrivez à votre rythme, tentez des choses, corrigez beaucoup. Et soyez sincères, ça fait vraiment la différence.


Un dernier mot pour conclure ?

Bonne écriture à tous !