Argh, "2666" me fait de l'oeil depuis un moment, mais l'aspect pavé, pour ne pas dire parpaing, me rebute pour le moment...
Retour de lectures suite à mon poste précédant :
"Retour de flammes" de JC Ruffin
j'aime les livres de genre, polar, récit d'explorateurs, journal de voyage, etc. Comme pour les AT, il y a des attendus, des sujets, des personnages, des situations imposés. Et après avoir fini "La montagne de l'âme" de Gao Xingjian (pas vraiment un roman classique puisque chaque chapitre peut être lu comme une nouvelle, formant un journal de voyage, d'où les avis déçus sur Babelio. Mais moi j'aime le genre journal de voyage, d'ailleurs très souvent utilisé par Lovecraft), donc j'ai lu cet autre roman de montagne où celle-ci constitue un véritable 3ème personnage médiateur entre les deux protagonistes qu'un couple. Cet usage du décor me semble rejoindre celui des romans de l'imaginaire, quand le territoire détermine et interroge les êtres (carte et peuples dans la Fantasy, planètes et biotopes dans la SF).
"Lady astronaute" de MR Kowal
recueil de nouvelles courtes et légères, dont la dernière a obtenu le prix Hugo, je me demande pourquoi. Je ne peux m'empêcher d'y voir une accointance culturelle qui joue sur la nostalgie retro-futuriste 70's (des cartes perforées pour les ordi) de la grandeur possible de la Nasa. Comme si après la conquête de la Lune, le programme Américain n'avait pas pris le virage vers les navettes spatiales et avait continué vers Mars (ce qui était le projet initial de Van Braum, l'inventeur des fusées V2 sous le 3ème Reich, puis après la guerre, directeur des vols habités à la Nasa, notamment des fusées Saturn qui permirent d'aller marcher sur la lune...). Bref, cela me laisse une impression d'une opération marketing de softpower , une uchronie intéressante sur la conquête spatiale américaine (où les Russes n'existeraient pas...) et puis c'est tout.
"Vision aveugle" de Peter Watts
Nouvelle édition chez Le Belial, très réussie (illustration préface inédite de l'auteur, glossaire, une nouvelle).
Bon, alors. Les avis sur Babelio sont soit très négatifs (hard SF absconse) ou élogieux (intelligent, plein d'idées...).
La vérité, à mon avis, c'est les deux à la fois. Oui, c'est de la Hard SF, avec son lot de jargon technoscientifique et parfois il faut s'accrocher, mais perso je prends ça comme du réalisme (discussions d'une équipe face à des Aliens, ils ne sont pas là pour discuter tarte aux pommes) et pas gratuit par rapport au thème.
Oui, c'est plein d'idées (bien que la morphologie des Alien m'ai déçu, ce n'est pas aussi original que les internautes le prétendent. Ces aliens tiennent beaucoup de la pieuvre.
(lire par exemple : "Le prince des profondeurs" de Peter Godfrey-Smith, parce que ça va bien d'écrire des monstres poulpesques à la Lovecraft (encore lui), un peu de documentation n'est pas inutile, surtout que la réalité dépasse la fiction, un livre abordable, grand public et passionnant.)
Et c'est là que ce livre est réussi : le thème n'est pas de pousser à fond des hypothèses scientifiques, le thème est celui de la conscience (ce qui n'est pas forcément plus facile, hein !). Et ainsi le titre s'explique : la "vision aveugle", c'est cette faculté que nous avons tous d'éviter un danger, ou de saisir un objet, sans l'avoir vu consciemment, grâce à un mouvement réflexe de survie guidé par notre cerveau primaire. Alors qu'avec le cerveau supérieur, le fait d'y réfléchir, aurait été trop long. Alors que la "vision normale" reste une perception restreinte physiquement et interprétée (dans les interstices de la quelle les aliens se jouent des humains).
C'est ici que se situe la véritable richesse du roman et l'originalité des aliens : la possibilité d'êtres très intelligents mais dénués de conscience de soi (qui opèrent toujours en vision aveugle).
(on rejoint les discussions sur la conscience de soi et les zombies: lecture en cours recommandé par Marcheur je crois, "De beaux rêves" de Daniel C. Dennett).
Oui mais bon, est-ce qu'au niveau du récit, c'est un bon ouvrage. Oui aussi par le choix du narrateur (un épileptique qui a subit une ablation d'un hémisphère cérébral, son rôle est d'enregistrer et de communiquer des infos, c'est un synthétiste, mais du coup dénué d'empathie -la question du zombie- et qui a du mal à comprendre, à interpréter ce qui lui arrive.) Aussi avec des personnages caractérisés : la linguiste schizo qui abrite et laisse parler plusieurs personnalités, le scientifique dont la conscience est projetée dans ses outils, le chef de mission qui est un vampire (avec une explication biologique du vampire, l'auteur en parle dans les notes de fin, à la façon de "Je suis une légende" de Matheson).
Et le récit est porté par l'action (les hallucinations dues au vagues électromagnétiques) et la recherche de compréhension dans cette situation d'un Premier Contact avec des Aliens tellement différents de nous qu'ils considèrent ce qui fait notre fierté, la conscience de soi, le langage humain, comme du bruit vide de sens, un virus, une véritable agression.